Extraits de "En commentant la Parachah"
Compilation des notes hebdomadaires de Gérard Touaty
Parues dans Actualité Juive.

Avec la permission de l'auteur.

Manger "cacher" est-ce uniquement une question d'alimentation?
Manger ou être mangé

Manger "cacher" pour être "cacher"
Le pur et l'impur
Nourrir D.ieu.

Un dossier préparé par K. Acher

Parachah Chemini

Manger "cacher" est-ce uniquement une question d'alimentation?

Personne ne peut ignorer aujourd'hui la révolution que connaît en cette fin de siècle, le monde de l'alimentation. Effrayé par les effets néfastes du progrès, l'homme découvre lentement les vertus d'une alimentation "scientifiquement saine". Se nourrir n'est plus un besoin aux risques insoupçonnés, c'est une technique conjuguant à la fois préoccupations esthétiques et hygiéniques. Mais nous ne devons pas nous méprendre sur la portée réelle de cette mutation sociologique. Seul le corps est concerné. Parler d'une "philosophie" nouvelle de l'hygiène alimentaire est un leurre. Il nous a semblé opportun de profiter de l'actualité de notre Parachah (1) pour développer un aspect méconnu, mais néanmoins fondamental des lois juives de l'alimentation. Une dimension où précisément le corps rejoint l'esprit.
Pour expliquer la cacherouth (2) nous devons distinguer trois niveaux.

Le premier est le plus connu. C'est celui où sont répertoriés tous les animaux dits "cacher", c'est-à-dire autorisés par la Torah. On ajoutera dans cette catégorie la manière d'accommoder la viande de ces animaux pour la consommation (abattage rituel, salage et trempage de viande, vaisselle de lait et vaisselle de viande, etc.).
Le second niveau réunit des règles d'hygiène et des conseils médicaux sur l'alimentation, que l'on trouve à travers toutes les pages du Talmud. Le Rambam (Maïmonide) les a rassemblés dans le quatrième chapitre des Lois d'éthique et de morale (3).
Enfin, et c'est ce qui occupera notre réflexion aujourd'hui, il existe un dernier aspect de la cacherouth qui donne à l'alimentation d'un Juif un cachet très particulier.

Ni bien ni mal
Pour beaucoup d'entre nous la cacherouth commence avec le choix d'un produit "cacher", garantissant par le tampon d'une autorité rabbinique le sérieux du contenu. En fait rien n'est joué. Un Juif pourra manger le repas "le plus cacher", cela ne l'empêchera pas dans un même temps de renforcer les forces du Mal de la Création. Cette éventualité s'appelle la liberté. Elle prouve que l'adhésion aux lois (en l'occurrence celle de la cacherouth) ne prive pas automatiquement l'homme de libre arbitre. C'est ce que maintenant nous devons expliquer. Nos Maîtres ont coutume de dire que notre monde est celui "d'après la faute". La tradition en effet rapporte que la faute du premier homme opéra dans l'histoire une césure radicale, quant au rôle de l'homme dans la Création. Avant que l'homme ne mange le fruit défendu (4), le Bien et le Mal étaient clairement séparés l'un de l'autre. La transgression de l'interdit créa dans le monde un état de confusion où Bien et Mal devenaient pour toujours liés l'un dans l'autre. La tâche de l'homme et plus tard du Juif, consistait dès lors à disséquer toutes les situations de sa vie pour séparer le Bien du Mal.
Une précision toutefois s'impose. Il ne faut pas comprendre ici les notions de Bien et de Mal dans le sens traditionnel que nous connaissons. Certes la vie nous impose parfois des choix d'ordre moral où l'enjeu est fondamental, des choix auxquels s'appliquent sans conteste les idées de Bien et de Mal, mais lorsque nous évoquons l'idée de ce choix dans la vie du Juif, la difficulté qui s'y rattache touche aussi les domaines les plus quotidiens de la vie : choix d'une profession, d'un appartement, d'un conjoint pour le mariage, etc. Bref, en quelques mots le rôle d'un Juif se résume à faire constamment des choix judicieux grâce à la sagesse de la Torah. Cependant cette démarche a des motivations plus profondes. Dans son rapport avec le monde matériel, le Juif ne doit pas simplement faire un bon choix, mais il doit aussi affecter l'objet de son choix à une fonction spirituelle. Expliquons-nous. Tout objet matériel est, en vertu du principe énoncé plus haut, composé de Bien et de Mal : nous dirions qu'il est neutre. Tout dépend de l'usage que l'on en fait : le feu peut détruire, comme il peut réchauffer, et ainsi de suite pour tout ce qui nous entoure. Plus subtilement, les Maîtres de la Kabbale expliquent qu'un objet matériel se compose de forces qui tirent leur origine du Bien. Lorsqu'un Juif l'utilise, dans le but de l'intégrer à sa vie religieuse, il le sanctifie et réduit à néant la dimension du Mal qui s'y trouve. Ainsi par exemple le bois qui servira à l'édification d'une synagogue ou la peau de bête qui servira à fabriquer le parchemin d'une "Mezouzah" seront sanctifiés par le but que le Juif leur aura assigné. La nourriture participe du même principe. Lorsqu'un Juif mange "cacher" dans le but de pouvoir bien prier ou bien étudier, il "élève spirituellement" cette nourriture et sanctifie par cela l'aspect matériel du monde. Mais s'il ne mange que pour assouvir son appétit (au même titre que l'animal), il renforce non seulement l'aspect matériel de la nourriture, mais lui-même à son tour imprègne tout son être de matérialité, ce qui entraîne une perte de sensibilité pour la spiritualité du judaïsme.

La grandeur du Chabbat
Ce processus est différent "Chabbat". Il existe ce jour-là une "Mitzvah" de consommer des plats agréables, mais nous devons les manger non parce qu'ils sont bons, mais pour la "Mitzvah" d'honorer Chabbat. La nourriture n'est plus alors seulement sanctifiée: elle devient "une Mitzvah". Nos Maîtres vont encore plus loin. C'est Chabbat lui-même qui par sa force sépare le Bien et le Mal de l'aliment. Toutefois, si nous profitons du Chabbat pour contenter notre estomac, les effets deviennent les mêmes que ceux de la semaine. Cet aspect de la cacherouth souligne bien l'idée de liberté qui anime le judaïsme. Il existe effectivement le cadre "imposé par D.ieu des Mitzvoth". En apparence, la liberté n'existe pas sur ce plan. Mais à l'intérieur de ce cadre, l'homme est pleinement libre dans la façon de vivre les Mitzvoth : acheter une certaine viande est une nonne imposée par la Torah. Le Juif ne peut s'y soustraire, mais il reste libre de la manger à sa guise. C'est là que se révélera sa véritable grandeur et la sincérité de son attachement à D.ieu.
Voici un récit qui à lui seul pourra résumer notre idée. Le fondateur du hassidisme, Rabbi Israël Baal Chem Tov, apprit par le Ciel qu'un Juif sans distinction particulière serait son voisin au Gan Eden, dans le monde futur. Après plusieurs recherches, il apprit que ce Juif mangeait gloutonnement "non cacher", sans correction et sans se couvrir la tête. S'étonnant d'un tel comportement, le Baal Chem Tov chercha à en connaître les raisons. Notre homme lui dit : "Mon père est mort brûlé sur un bûcher, mais il était tellement maigre qu'il n'a pas eu le temps de dire "Chema Israël", Alors moi je mange beaucoup, au cas où les cosaques m'attraperaient pour me brûler, afin d'être assez gros pour avoir le temps de dire "Chema Israël". Le Baal Chem Tov comprit le sens de dire "Chema Israël" de ce récit. Ce Juif n'est pas un exemple pour la cacherouth alimentaire, mais pour les motivations qui animaient ces repas. Seul lui importait d'être un bon serviteur de D.ieu. Son éducation ne lui avait pas appris ce qui est "cacher" et ce qui ne l'est pas, mais il savait au moins que tous ses actes devaient tendre vers un seul but : être un serviteur de D.ieu.

Notes
(1) Dont l'un des sujets essentiels est l'énoncé des signes distinctifs des animaux "cacher" et non "cacher".
(2) L'emploi du mot "cacherouth" est ici un abus de langage. Ce mot signifie "conformité" (aux lois du judaïsme) et ne concerne pas seulement l'alimentation. On peut parler de cacherouth du vêtement, du langage, etc. Mais par commodité pratique ce terme s'apparente généralement au respect des lois juives de l'alimentation.
(3) L'un des chapitres du livre "Michné Torah".
(4) Qui n'était pas une pomme. Les Maîtres sont à ce sujet en discussion sur la nature de ce fruit (le texte biblique ne donnant aucune précision). Certains pensent qu'il s'agissait d'un cédrat (l'"étrog" en hébreu), Rachi penche plutôt pour la figue, d'autres pensent qu'il s'agirait du fruit de la vigne ou du blé.


Parachah Chemini

Manger ou être mangé .

"Voici le pain de misère que nos pères mangèrent en Egypte...". Nous avons tous prononcé cette phrase les deux soirs de Pessa'h en commençant la lecture de la Haggada. Elle évoque pour nous la dureté de la condition juive d'Israël alors en esclavage en Egypte. Mais certains de nos Maîtres quittant le terrain historique proposent de lire le texte différemment : "Voici le pain de misère qui mangea nos pères en Egypte...". Le pain, nous dit le Talmud, construit l'intellect de l'homme, il symbolise en quelque sorte nos valeurs intellectuelles, nos idées. Ce que la Haggada nous propose est une alternative des plus fondamentales : on mange des idées ou elles nous mangent.
Notre société, tout en valorisant l'image, laisse une place considérable aux slogans, aux messages et cela aussi bien dans la sphère culturelle que politique. Nous sommes quotidiennement assaillis d'idées ou de mots d'ordre dont la fonction est à la fois d'informer et de fabriquer, pour chaque individu, une conscience de la réalité qui l'entoure. C'est ce que tout un chacun appelle la "liberté de pensée".
On pourrait comparer cela à un grand self service idéologique où chacun vient choisir ses idées ou ses opinions sur tout et n'importe quoi.
Pour nous ce modèle social n'est qu'une illusion parce que la liberté n'est pas seulement la faculté de choisir, mais aussi (et surtout) la capacité intellectuelle de savoir choisir. C'est l'une des raisons pour laquelle D.ieu nous a donné des "Mitzvoth" (des commandements). Une Mitzvah est comme un repère qui permet à l'individu à la fois de se situer par rapport à la réalité du monde et de connaître sa propre réalité intérieure. Sans "Mitzvoth" l'homme poussera comme une herbe sauvage au gré de la pluie et du beau temps.

Distinguer le pur et l'impur
Ainsi l'homme moderne croit consommer des idées alors qu'en fait ce sont les idées qui le mangent. Il est victime des modes et des courants de pensée qui régulièrement font et défont sa conscience : il pensera un jour que la peine de mort est une nécessité sociale parce que la veille un homme aura tué des enfants, mais changera d'avis à l'écoute d'un plaidoyer humaniste condamnant la peine de mort. En fait ü lui sera impossible de se créer une idée objective et dépassionnée de ce problème Pour y parvenir, on trouvera dans notre Parachah des éléments de réflexion pouvant nous y aider. C'est la première fois en effet ici que la Torah nous ordonne de distinguer le pur de l'impur. Or cette injonction nous est donnée précisément en même temps que les premières lois alimentaires. L'idée pour nous est clair . Pour être capable de distinguer le pur (le bien) de l'impur (ce qui est mauvais pour nous) il faut faire attention à ce que l'on mange c'est à dire allusivement à ce que l'on entend et à ce que l'on voit, à ce qui formera notre conscience des choses.
La première catégorie d'animaux mentionnée dans notre Parachah elle celle, des mammifères qui pour être permis à la consommation devaient obligatoirement posséder deux caractéristiques : être ruminant et avoir des sabots fendus. En consommant la chair de ces animaux, ces deux caractéristiques deviendront elles aussi (comme la viande) partie intégrante de notre nature.

Réfléchir sans cesse
L'animal qui rumine emmagasine dans sa panse de l'herbe qui sera plus tard triturée après avoir été ramenée dans sa bouche pour être digérée définitivement par la suite. Nous devons-nous aussi adopter cette attitude devant toutes les idées que l'on tente de nous faire assimiler. Réfléchir et y réfléchir sans cesse (principe de la rumination) pour garder ce qui est bon et rejeter ce qui peut être préjudiciable pour notre santé spirituelle. Toutefois cela n'est pas suffisant. L'animal doit aussi avoir des sabots fendus. Un sabot tout d'abord évite le contact direct de la patte avec le sol. Ainsi doit-il en être pour nous : prendre ses distances avec le monde matériel pour ne pas y être asservi. On gardera dans ces conditions une certaine indépendance d'esprit. Néanmoins la Torah n'exigera pas d'un Juif de se couper des choses terrestres. C'est pourquoi le sabot devra être fendu. Même lorsqu'il sera immergé dans la matérialité du monde, le Juif devra tracer une ligne de séparation entre ce qui est nécessaire à ses besoins quotidiens et ce qui est superflu. Ces précautions alimentaires lui donneront la conviction que l'on peut toujours influer sur le cours des choses même si le monde nous donne l'impression d'être manipulé par l'histoire.


 

Parachah Chemini

 

Manger "cacher" pour être "cacher"

Entre autres idées fondamentales, le judaïsme postule le principe que le monde (et tout ce qui y vit) est régi par un ordre mais pas n'importe quel ordre : chacun sait qu'après l'hiver vient le printemps et que toute plante pour pousser a besoin d'eau. Cette structure organique existe depuis des milliers d'années sans que l'homme dans sa vie n'ait besoin d'en tenir compte. Pour un Juif le rapport à cet ordre est différent. Tout sera pour lui, source d'intérêt, cela afin qu'il puisse déterminer la qualité de la relation qu'il aura avec son environnement. Ainsi en sera-t-il de son alimentation : tel animal sera cacher alors que tel autre ne le sera pas.
Pour un Juif le monde n'est pas neutre. Les hommes, les choses ou les situations obéissent à des règles ou des objectifs qui selon les critères de la morale juive appartiennent nécessairement à ce que le judaïsme appelle le Bien ou le Mal. C' est d'ailleurs l'une des raisons pour laquelle la Torah et le Talmud parlent "littéralement" de tout. Parce qu'il existe une nécessité morale et rituelle de se situer par rapport à tout ce qui fait le monde. Ce principe est encore plus évident lorsque le Juif a un contact direct avec ce qui l'entoure. Dans le dernier chapitre de notre Parachah, la Torah nous donne la liste de tous les animaux qui nous sont permis ou interdits à la consommation.
"Tout animal possédant des sabots fendus tout en étant ruminant pourra être consommé", déclare un verset introduisant ce chapitre.

Une plus grande réceptivité
Pourquoi cette sélection ? Comme l'explique le Ramban (Na'hmanide) dans son commentaire sur ce chapitre, il existe un principe selon lequel tout ce que l'homme mange devient par la suite partie intégrante de son sang et de sa chair. Or certains animaux, de par leur nature, présentent des caractéristiques qui peuvent être préjudiciables pour l'équilibre spirituel du Juif.
C'est pourquoi la Torah ne permettra que les animaux dont le caractère ou le comportement aideront celui qui les consommera à se rapprocher de D.ieu. C'est là le sens du mot "cacher". Ce terme signifie "conforme", c'est-à-dire que l'animal dit "cacher" présentera une conformité par rapport au projet divin que le Juif devra réaliser. En d'autres termes, un Juif négligeant la moindre loi alimentaire du judaïsme amoindrira sa capacité à comprendre le message de la Torah.
Il ne s'agit pas ici d'intelligence: manger "cacher" ne rend pas plus intelligent, mais nous donne plus de réceptivité intellectuelle et affective pour percevoir ce que D.ieu attend de nous. On comprendra dès lors pourquoi (en dehors des oiseaux et des poissons) un animal ne possédant pas ensemble un système lui permettant de ruminer et des sabots fendus n'est pas "cacher".

La tête dans les chaussures
Le pied d'un animal est le membre le plus près de la terre.
Mais lorsqu'il possède un sabot se crée alors entre lui et la terre une séparation (le mot hébreu parsa, qui signifie "sabot", a pour racine un mot qui signifie "séparer"). La terre symbolise ici le monde matériel. Le sabot quant à lui, symbolise la distance qu'un Juif doit installer entre lui et ses préoccupations matérielles. Une adhésion véritable au judaïsme n'est possible qu'en réduisant le temps ordinairement accordé aux nécessités quotidiennes de l'existence (le sommeil, le travail, etc.).
Le Rabbi Chalom Dov Ber de Loubavitch (1860-1920) avait un disciple extrêmement doué pour l'étude de la Torah qui décida un jour de se consacrer au commerce des chaussures. Remarquant son ardeur démesurée dans son travail, le Rabbi lui lança une fois : "J'ai déjà vu des pieds dans des chaussures mais une tête dans des chaussures..."
Le second signe est tout aussi important. L'individu est bien souvent tenté, par paresse intellectuelle, de se contenter d'idées toutes faites sans prendre le temps d'y réfléchir par lui-même. Toutes les violences et les haines viennent de là, lorsqu'un gouvernement au moyen de l'information de masse distille parmi les populations un message qui par son ampleur globale bénéficiera d'une très grande crédibilité. La Torah nous enseigne ici qu'un Juif doit "ruminer" les idées qui l'entourent pour pouvoir (selon les critères de la Torah) déterminer ce qui est du domaine de la sainteté de ce qui ne l'est pas. A l'image du ruminant qui pour bien assimiler sa nourriture la régurgite plusieurs fois pour qu'elle puisse être dirigée facilement par la suite.
Nous avons peut-être là l'approche d'une définition de la liberté : le souci de préserver son indépendance face aux multiples réseaux d'influence qui forment (ou déforment) l'homme moderne.


Parachah Chemini

 

Le pur et l'impur

A la fin de notre Parachah la Torah évoque la nécessité de distinguer l'impur du pur. Il faut voir dans cette injonction non seulement une recommandation propre au sujet traité quelques versets plus haut mais une directive d'ordre général. Toute notre vie est en effet marquée par ce leitmotiv : qu'est-ce qui est bien et qu'est-ce qui ne l'est pas ? La réponse comme on le verra sera des plus difficiles. Parce que nous vivons dans une société pour laquelle le Bien est ce que nous appelons Mal et le Mal est ce que nous appelons Bien.
Pour le monde non juif le Bien n'est pas une idée, c' est un sentiment. Etre bien ou marcher dans le Bien est avant tout une démarche personnelle qui n'obéit à aucune loi et à aucun système : se sentir bien. Ce n'est qu'à partir de là qu'une idée voire une philosophie seront élaborées.
Pour le judaïsme c'est l'inverse. Une conception morale de l'existence s'impose à nous à partir de laquelle des sentiments prendront naissance. D'un côté le refus d'une quelconque autorité de l'autre la soumission à un système de valeurs. Aujourd'hui, tromper son conjoint (1) tricher, ou dénigrer rentrent dans le cadre d'une normalité où l'homme laisse libre cours à ses pulsions premières sans qu'il y soupçonne la moindre gravité. Le Juif en revanche est ce qu'il est, parce qu'il obéit à un cadre normatif qu'on appelle les "Mitzvoth". Là il apprendra tout au long de sa vie à travailler et corriger les tendances mauvaises de la personnalité pour s'éloigner de l'être animal qui est en lui.

L'huile qui s'élève
Mais il n'est pas toujours aisé de distinguer - entre le pur et l'impur. Les situations de la vie sont parfois si complexes que la nuance entre Bien et Mal devient particulièrement difficile. C'est ce qui explique le nom de notre Parachah "Chemini". Ce mot signifie huitième et vient de la racine chémène qui signifie "huile". Le mot huitième évoque un niveau de spiritualité qui transcende le monde, comme l'huile qui mélangée à l'eau finit par se séparer d'elle pour s'élever au-dessus d'elle.
On peut comprendre dès lors la nécessité de ce nom précisément ici. Huitième est une allusion à la force divine qui est au-dessus du monde et qui vient nous aider à trouver le bon chemin. Quand en effet un Juif décide de toute sa volonté de ne pas céder aux pressions de son mauvais penchant, D.ieu se révèle à lui par l'aide qu'Il lui apporte afin d'être en mesure de séparer le pur de l'impur. C'est ce que le Talmud confirme lorsqu'il commente l'un des derniers versets de notre Parachah (2) : si un homme se sanctifie ne serait ce que dans une faible proportion, on l'aide en haut à se sanctifier beaucoup plus.

Une nouvelle naissance
Il est vrai que cette règle s'applique d'abord aux animaux purs ou impurs dont la consommation obéit à des règles extrêmement précises et dans un premier temps la distinction de pureté et d'impureté doit s'opérer dans ce domaine. Mais la consommation n'est pas qu'une action matérielle.
C'est aussi un acte moral et spirituel : on "mange des idées".
Si dès lors un Juif fait l'effort de dissocier le Bien du Mal dans le flot d'idées dont il est abreuvé chaque jour, D.ieu lui offrira le soutien nécessaire pour pouvoir "penser juif".Alors s'accomplira les premiers mots de la Parachah suivante "....quand une femme aura conçu" . Un effort sans cesse soutenu de purification intérieure nous aidera chaque jour à concevoir une nouvelle naissance de notre personnalité.

Notes
(1) Il est remarquable de constater que l'homme situé au plus haut sommet de l'Etat ait pu avoir un enfant d'une liaison extra conjugale sans que la révélation de ce fait n'ait fait l'objet d'aucune réprobation morale.
(2) Traité Yoma p. 39 a sur le verset 44 chap. 11.


Parachah Emor

 

Nourrir D.ieu.

La pratique des "Mitzvoth" n'est pas seulement une expression culturelle. C'est aussi (et principalement) le canal au moyen duquel le Créateur dispense la vie de son peuple, une sorte d'aliment vital sans lequel l'identité juive n'a plus de sens. Dès lors comment imaginer que la dynamique inverse puisse exister. Un verset de notre Parachah définira en effet les sacrifices comme le "pain de D.ieu"! (1) D.ieu aurait-il besoin d'une nourriture ? Le Zohar sera plus audacieux en affirmant qu'Israël nourrit son Père qui est au ciel.
Pour éclaircir ce point il nous faut préalablement expliquer la fonction spirituelle de la nourriture. Un Juif est la réunion d'un corps et d'une âme. Celle-ci, entité spirituelle, n'a pas besoin de nourriture. Cependant quand D.ieu l'habille dans un corps son existence devient alors dépendante de l'alimentation du corps. Pourquoi .? Parce que la nourriture, expliquent nos Maîtres, est le lien entre le corps et l'âme. Lorsqu'un homme est privé de nourriture ou de boisson, son âme (et son corps) s'affaiblit. Mais dès qu'il peut à nouveau s'alimenter, son âme retrouve toute sa plénitude. La nourriture aura donc comme fonction d'installer l'âme dans le corps et de consolider leur unité.

Aiguiser la réceptivité
Il nous paraît important d'ouvrir une parenthèse au sujet des "vertus" de l'alimentation "cacher". La cacherouth n'est pas un corpus de règles hygiéniques. L'hygiène alimentaire est ailleurs : c'est, comme l'explique le Rambam (Maïmonide), un dosage minutieux de chaque aliment pour trouver l'équilibre intérieur (2). La "cacherouth" en tant que choix d'aliments spécifiques permis à la consommation répond à une autre exigence. En mangeant "cacher", le Juif affine sa réceptivité au judaïsme. Une alimentation "cacher" lui permettra de mieux comprendre ce que D.ieu attend de lui. Il en est d'ailleurs de même pour toutes les Mitzvoth . Une Mitzvah est en quelque sorte la visualisation de la volonté divine qui par sa pratique nous ouvre l'esprit sur la réalité de la Création et sa finalité.

Un espace saint pour D.ieu.
Ce rapport corps et âme que nous évoquions plus haut est le même que celui existant entre D.ieu et le monde. De même que l'âme emplit le corps, ainsi D.ieu emplit le monde. Mais si l'âme pour investir le corps doit profiter des bienfaits de l'alimentation D.ieu a besoin d'une autre moyen pour demeurer dans le monde. Ce moyen, qui créera le lien entre Lui et le monde c'est la Torah et les "Mitzvoth". Quand un Juif étudie la Torah ou pratique une Mitzvah, il aménage un espace saint pour D.ieu dans le monde. Cette étude et cette pratique deviennent alors Son alimentation c'est-à-dire la possibilité qui Lui est donnée de construire un lien avec le monde, de s'y installer. C'est le pain auquel fait allusion le verset. Et bien que le pain soit ici une référence aux sacrifices, l'idée qu'il sous-tend reste la même pour le Juif d'aujourd'hui et ce, malgré l'impossibilité d'offrir des sacrifices. Offrir un sacrifice à D.ieu signifie investir toutes ses forces dans la pratique du judaïsme. Ce choix sera sans nul doute aussi un "pain" apprécié par le Créateur.

Notes
(1) Chap. 21, verset 6.
(2) Michné Torah, Hilkhoth Deoth, chap.5.

Un dossier préparé par K. Acher